Photo prise en 2019

Le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique

Le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique a été créé en 1784 sous l’appellation d’École Royale de Chant et de Déclamation, installée à l’Hôtel des Menus-Plaisirs (salle de spectacle située près du Conservatoire actuel). Il prend le nom de Conservatoire National d’Art Dramatique en 1946, puis Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique en 1971.

L’escrime fait partie du cursus des élèves comédiens depuis 1784. Le maître Lamotte enseigne déjà l’escrime en 1817. Lui succède le maître Lebrun de 1821 à 1828. La classe est alors supprimée.

Le 1er janvier 1839, le maître Grisier (maître d’armes d’Alexandre Dumas et de Gérard de Nerval) y enseigne jusqu’au 15 mai 1865 ; puis le maître Jacob de 1865 jusqu’en juillet 1893 ; puis Louis Mérignac de 1893 à 1923. Au décès de Louis Mérignac, c’est son fils Lucien qui reprend la classe en 1923 jusqu’en 1933 (voir photo). La classe est supprimée une deuxième fois. Elle est rétablie en 1949 avec le maître Pierre Lacaze qui y enseigne jusqu’en 1987, relayé par le maître François Rostain qui reprend le flambeau.

 

   Classe d’escrime du Conservatoire 1929-1930. En photo maître Lucien Mérignac

Voilà ce que nous dit  Gabriel LeTainturier-Fradin dans son livre Le Théâtre Héroïque :

Le maître d’armes au Conservatoire 

Bien que le drame lyrique semble avoir vécu, et que le public contemporain, assoiffé de nouveauté et de réalisme, ne s’intéresse plus que médiocrement aux brillantes aventures, aux nobles héros imaginaires, aux beaux coups d’estoc, aux bottes secrètes et au flamboiement des dagues heurtées pour l’honneur du Roy ou des dames, on n’en continue pas moins à enseigner aux acteurs la noble science des armes. Le conservatoire de musique et de déclamation a son maître d’armes attitré qui apprend à ses élèves les belles attitudes, les passes d’armes élégantes et les règles courtoises de l’escrime. Il y a quelques années ce fut le célèbre maître Jacob, qui enseigna aux futures étoiles de nos théâtres modernes. Il avait des élèves des deux sexes : les femmes suivaient assidûment les cours et s’escrimaient le plus gracieusement du monde, si l’on en juge par le plaisant article dû à la plume spirituelle du chroniqueur d’escrime M. Emile André : « Ah ! La jolie salle qui a pour élèves nos futures actrices dans leur fleur, à cet âge sitôt passé où elles sont encore innocentes ! Faut-il envier le professeur d’escrime de ces demoiselles ? Ne faut-il pas admirer plutôt la vertu nécessaire en pareil cas ? Le professeur Jacob était d’ailleurs au dessus de tout éloge. Nombre d’élégantes escrimeuses se sont formées au Conservatoire, surtout dans la classe de chant. Ces demoiselles du chant possèdent en général de remarquables performances : elles ont du « plastron » et montrent plus de vigueur que nos mignonnes ingénues ».

Ce qu’en dit Louis Mérignac[1] :

L’agréable mission de cet enseignement est actuellement confiée à l’éminent Louis Mérignac. Passionné pour son art, ce maître, en raffiné, en dilettante, en érudit qu’il est, s’entoure des curiosités historiques qui s’y rattachent ; et, dans une pièce qui précède sa salle d’armes, il a créé un véritable musée, où des richesses remarquables s’étalent aux yeux ravis des connaisseurs. Mérignac est loin d’avoir l’enthousiasme et l’indulgence de M. Emile André pour les jeunes élèves du Conservatoire, ce qui nous ferait croire à regret que le goût des armes a singulièrement diminué chez nos futurs artistes dramatiques des deux sexes. En prenant possession de la salle d’armes du Conservatoire, Louis Mérignac s’est plut à établir un programme offrant un intérêt réel pour ses jeunes gens appelés à affronter souvent plus tard, les armes à la main, les feux de la rampe et les difficultés des planches. Il entendait joindre à l’escrime proprement dite, qui donne l’aisance des mouvements, la grâce de la démarche, la souplesse de l’allure, l’étude du maniement des rames anciennes, si nécessaire à la reconstitution des pièces historiques. Vain appât offert à la curiosité artistique des élèves ! La salle resta presque déserte, et moins heureux, ou plus modeste que son prédécesseur, Me Mérignac nous déclare que jamais une élève femme ne songe à se faire inscrire pour suivre les leçons d’escrime. Tout en déplorant la fâcheuse apathie de jeunes gens qui ne se soucient guère de l’étude d’un art cependant indispensable à leur carrière, le maître leur trouve toutefois quelques excuses. « Bien que les leçons d’escrime soient gratuites, dit-il, l’installation de la salle, dont les frais sont assurés par l’administration, laisse beaucoup à désirer au point de vue du confort ; de plus, l’heure des cours n’est pas très favorable. En effet, la salle est ouverte trois fois par semaine de 8h à 11h du matin concurremment avec la classe de solfège. On comprendra donc que les élèves suivant le cours de chant, préfèrent le solfège à l’escrime qui n’est pour eux qu’une étude accessoire. Il y a une révision qui s’impose dans l’intérêt même des élèves. Quant au petit nombre de ceux qui, en dépit de ces difficultés, fréquentent la salle, il est fâcheux de constater, qu’après leur départ du Conservatoire, les principes reçus, les leçons apprises, sont complètement oubliées. Dans un duel ou un combat scénique, c’est à peine s’ils se distinguent de leurs camarades non initiés à l’escrime, par leur façon un peu plus aisée de tenir l’épée et le naturel plus élégant de leur mise en garde. C’est là tout ce qu’il reste des leçons que bien souvent ils regrettent d’avoir négligées. » L’intérêt de cette conversation avec Me Louis Mérignac, son aimable accueil et sa compétence, nous avais amené à lui poser une question importante, à savoir si sa qualité de professeur d’escrime au Conservatoire lui avait valu d’être appelé à régler de nombreux jeux de scène dans les différents théâtres subventionnés ou non. Car il semble, en effet de toute évidence, que l’on doive s’adresser à lui de préférence pour diriger ces combats simulés qui demandent une grande connaissance des armes. Mérignac est tout indiqué pour diriger ces reconstitutions intéressantes ; auteurs et directeurs n’auraient qu’à se louer de son concours. Cependant, il n’en est rien, parait-il, et nous déplorons de ne point avoir le régal que nous attendions, du récit de quelque belle mise en scène réglée par le célèbre professeur. Nous espérons que quelque auteur dramatique, quelque imprésario judicieux saura utiliser les connaissances spéciales du maître en cette matière. Plusieurs théâtres possèdent une salle d’armes et un professeur, pour donner les premières notions aux artistes appelés à simuler des combats. Celle du théâtre de l’Opéra date du 18e siècle. C’est ainsi que nous voyons figurer sur un état de 1787, à l’article 12 le nom du sieur Donnadieu, maître d’armes au prix annuel de 600 livres. Cet emploi est aujourd’hui rempli par M. Millet que sans doute, une louable discrétion empêche de nous renseigner sur son fonctionnement, puisqu’il ne voulut pas répondre à nos questions. Il y a actuellement à l’Académie de musique un artiste, qui est un ex professionnel de l’escrime. C’est Noté, l’excellent chanteur. Avant de faire entendre au public les belles notes de sa voix grave, il poussait des bottes en qualité de prévôt, à Bruxelles. Sa parfaite connaissance des armes permet de nous faire part de ses observations sur l’escrime ou le duel au théâtre.

L’avis de Noté :

« Un artiste escrimeur, dit-il, peut en y mettant une adresse suffisante, donner au public l’illusion d’un combat dont le résultat ne serait point prévu. Par contre, je ne vois point la possibilité de faire une phrase d’armes, ou de mettre quelque initiative dans un duel scénique. On procède par battements, et rien que par battements, pour la raison bien simple, qu’à quelques exceptions près, les acteurs ne connaissent pas l’escrime ; ce système est de tradition sur presque tous les théâtres. Pourtant l’habitude des armes, ajoute le brillant artiste, serait aussi une grande sécurité pour l’adversaire qu’on a combattre ; un escrimeur saura éviter, sans cependant les prévenir, les accidents que pourrait causer un camarade maladroit, tel que j’en eus un dans Lohengrin, où lors du duel du 1er acte, je fus balafré légèrement, il est vrai, mais assez désagréablement. » Noté n’a heureusement pas abandonné les armes. Souvent il tire en public, se faisant apprécier avec autant de succès auprès des joueurs d’épée qu’auprès des mélomanes de l’opéra.  (Gabriel LeTainturier-Fradin, Le Théâtre Héroïque, Paris : Flammarion, 1892. pp.503-508) 

 

 Salle Louis Jouvet au CNSAD en 1997.

[1] Interview par Gaston Renard, chroniqueur d’escrime.